De George Orwell à George Floyd : l’évolution des perspectives sur l’utilisation des caméras d’intervention par la police

Bien des choses ont changé depuis le milieu des années 2000, quand on a envisagé pour la première fois d’équiper les policiers de caméras d’intervention. À l’époque, cette idée avait soulevé un tollé alimenté par la crainte que l’on se rapproche de l’État-espion fictif du roman 1984 de George Orwell. Or, ces dernières années, l’attitude du public à l’égard de l’utilisation de cette technologie par la police a connu un revirement remarquable. Nous sommes actuellement au cœur d’un mouvement mondial qui réclame une transparence et une responsabilisation accrue des services de police, à la suite de la mort très médiatisée de civils lors d’interactions avec la police.

Afin de tenir compte de cette évolution marquée de l’opinion publique et de mettre de l’avant sa priorité stratégique La nouvelle génération des forces de l’ordre, le CIPVP a publié aujourd’hui un modèle de cadre de gouvernance pour l’utilisation des caméras d’intervention par la police. Ce cadre s’appuie sur le document d’orientation pour l’utilisation de caméras corporelles par les organismes d’application de la loi publié en 2015 par les commissaires fédéral, provinciaux et territoriaux à la protection de la vie privée. Il est éclairé également par des consultations entre mon bureau et le Service de police de Toronto ainsi que sa commission de services policiers, qui se préparaient, plus tôt cette année, à lancer leur programme de caméras d’intervention.

Ce modèle de cadre de gouvernance vise à aider les services de police de l’Ontario à élaborer des programmes efficaces qui vont dans le sens de leurs objectifs en matière de sécurité publique tout en respectant les droits fondamentaux des communautés qu’ils servent. Plus précisément, le cadre de gouvernance a pour but de rehausser la transparence et la responsabilisation des interactions entre la police et les civils, y compris celles où il y a recours à la force, tout en veillant au respect des attentes raisonnables des citoyens en matière de vie privée, en les mettant à l’abri du regard injustifié de l’État dans les logements privés et les lieux publics.

Le cadre repose sur le principe de base selon lequel les caméras d’intervention ne doivent être utilisées que pour enregistrer des incidents précis liés à des enquêtes ou à l’application de la loi et comportant des interactions directes entre des agents de police et des membres du public. Les caméras d’intervention ne doivent pas être utilisées secrètement ni rester toujours en marche et servir ainsi d’outils de surveillance massive ou généralisée.

Le cadre invite également les services de police à formuler des principes directeurs et à les appliquer, et notamment à utiliser les caméras d’intervention d’une manière qui :

  • est nécessaire et proportionnée aux objets clairement définis du programme;
  • est transparente et comptable au public;
  • défend l’intégrité du système de justice criminelle et de l’administration de la justice;
  • protège le droit des particuliers à l’information et à la protection de la vie privée;
  • traite chacun de façon juste et équitable;
  • respecte la valeur et la dignité inhérentes des êtres humains.

Parmi ses principaux aspects, le cadre encourage fortement la tenue d’évaluations de l’incidence sur la vie privée (EIVP) pour relever et atténuer les risques, et propose des conseils sur la sélection de fournisseurs de matériel. Il établit des règles claires quant aux circonstances où il faut enregistrer et ne pas enregistrer et invite à tenir compte des situations délicates où la vie privée et la dignité des personnes sont en jeu, tout en limitant le pouvoir discrétionnaire des policiers de désactiver ou de bloquer les caméras à leur guise. Il limite l’utilisation et la divulgation des enregistrements de caméras d’intervention, et exige leur stockage sécurisé et leur destruction à l’expiration des périodes de conservation applicables. Il préconise la transparence relativement aux enregistrements de caméras d’intervention en réponse aux demandes d’accès à l’information, et recommande la divulgation proactive de ces enregistrements dans l’intérêt public. Surtout, il établit des exigences détaillées en matière de documentation, de vérification et de rapports publics afin de répondre aux attentes du programme en matière de transparence et de responsabilisation.

Le processus qui a mené à l’élaboration du modèle de cadre de gouvernance a été très édifiant. Notre bureau a travaillé de façon soutenue pendant plusieurs mois avec le Service de police de Toronto et sa commission, qui affichaient une longueur d’avance dans la planification et la mise en œuvre de leur projet pilote, jusqu’à la mise en place de leur programme complet de caméras d’intervention. Grâce à cette expérience acquise sur le terrain, notre bureau a pu se faire une idée plus précise des principaux objectifs de sécurité publique, ainsi que des nombreuses considérations pratiques dont il faut tenir compte lors de la mise en œuvre d’un programme de caméras d’intervention. Les leçons tirées de cette vision plus nuancée, associées à d’autres points de vue de la société civile, de groupes de défense des droits de la personne et d’universitaires de premier plan dans ce domaine, ont permis d’obtenir un résultat mieux informé et équilibré que si notre bureau avait tenté d’élaborer ce modèle de cadre de gouvernance en vase clos.

Nous espérons que ce modèle de cadre de gouvernance se révélera utile à d’autres services de police de l’Ontario aux fins de la planification ou de la mise en œuvre de programmes de caméras d’intervention semblables afin de promouvoir leurs objectifs de sécurité publique et d’assurer un niveau uniforme de protection des droits dans toute la province, conformément aux lois ontariennes sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.

Les caméras d’intervention ne sont pas une panacée, mais si elles sont utilisées correctement, elles peuvent contribuer à la transparence et à la responsabilisation que les citoyens attendent désormais de leurs agents de police, sans pour autant porter atteinte à la vie privée et à la dignité humaine. Je recommande aux services de police et aux commissions des services policiers qui envisagent d’utiliser cette technologie pour leurs agents de première ligne d’adopter ce modèle de cadre de gouvernance, qui sera une étape vers l’établissement d’une relation de confiance et de respect plus solide avec la collectivité.

Je suis persuadée que ce cadre représente une voie que la police pourrait emprunter afin d’utiliser les caméras d’intervention de façon responsable. Cette voie sera ouverte par ceux et celles qui feront équipe pour accroître la transparence et la responsabilisation tout en protégeant le droit à la vie privée et d’autres droits fondamentaux de la personne.

Patricia

 

 

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