S1-Épisode 8 : Accès à l’information à la une!

30 septembre 2021

Savoir comment accéder à l’information est devenu une exigence de base de nos jours pour la plupart des journalistes d’enquête dont le travail consiste à faire la lumière sur les décisions et les actions du gouvernement dans l’intérêt du public. Dans cet épisode, nous allons dans les coulisses pour découvrir comment une simple demande d’accès à l’information peut révéler des faits importants qui se retrouvent à la une des journaux. La commissaire discute avec Jim Bronskill, journaliste à La Presse canadienne, des reportages qu’il a pu présenter en primeur grâce à l’accès à l’information.

Patricia Kosseim :

Bonjour. Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous écoutez L’info, ça compte, un balado sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information. Nous discutons avec des gens de tous les milieux des questions concernant l’accès à l’information et la protection de la vie privée qui comptent le plus pour eux.

Chers auditeurs, je vous souhaite la bienvenue à un autre épisode de L’info, ça compte. Merci de vous joindre à nous. L’accès à l’information est l’un des piliers d’une démocratie saine. Il montre aux citoyens comment fonctionne leur gouvernement, favorise la transparence et permet de tenir le gouvernement comptable de ses décisions et de ses actes. Il soutient la participation citoyenne en donnant aux gens l’information dont ils ont besoin pour participer activement au débat public, exprimer leurs points de vue et influer sur l’établissement des priorités et la prise de décisions dans leur communauté.

Il arrive souvent que les particuliers présentent eux-mêmes une demande d’accès à l’information pour obtenir les renseignements qu’ils recherchent. Cependant, la plupart du temps, on ne sait tout simplement pas ce qu’on ne sait pas. Dans ces cas, des intermédiaires essentiels comme les journalistes d’enquête demandent l’accès à des renseignements qui sont finalement rendus publics dans notre journal local ou au bulletin de nouvelles de fin de soirée. En fait, les journalistes jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit d’exercer notre droit collectif à l’information, et c’est pourquoi nous avons intitulé cet épisode « Accès à l’information à la une! ».

Au cours de la prochaine demi-heure, nous irons voir dans les coulisses comment l’accès à l’information a permis de mettre au jour certaines nouvelles cruciales qui ont contribué à façonner le débat public sur des questions vraiment importantes et primordiales pour les Ontariennes et Ontariens. Mon invité pour cet épisode est Jim Bronskill. Si vous suivez l’actualité, vous avez probablement vu son nom dans les journaux à travers le pays.

Journaliste primé du bureau d’Ottawa de La Presse Canadienne, il se spécialise dans les reportages sur la santé publique, la police, la sécurité et le renseignement, ainsi que sur les questions d’accès à l’information et de protection de la vie privée. Il est chargé de cours à temps partiel à l’Université Carleton où il aide les jeunes journalistes à apprendre les rouages du métier. Jim a beaucoup d’expérience dans le recours lois sur l’accès à l’information pour mettre au jour des informations importantes, et cette expérience lui a été utile dans la rédaction de son livre Your Right To Know. Bienvenue, Jim.

Jim Bronskill :

Merci de m’avoir invité. Tout le plaisir est pour moi.

PK :

Merci encore de vous donner la peine de prendre part à cette conversation; j’ai vraiment hâte de passer la prochaine demi-heure avec vous. Cependant, avant de commencer, vous pourriez peut-être vous présenter et dire à nos auditeurs ce qui vous a incité à faire carrière en journalisme.

JB :

J’ai toujours aimé suivre l’actualité et écrire, et j’ai pensé que le journalisme serait un bon moyen d’allier ces deux choses. Je pense que j’ai su dès mon plus jeune âge que je voulais travailler dans le journalisme. J’ai été privilégié d’avoir des mentors extraordinaires dans mon parcours. Dans mes années de « jeune blanc-bec » de journaliste, ils m’ont convaincu que l’accès à l’information était un bon sujet. On parle ici de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Je pense que j’ai fait ma première demande d’accès à l’information pour ma thèse de maîtrise, qui portait sur le libre-échange et les industries culturelles, [prise de son]. J’en ai présenté une et on m’a répondu.

Dans mon travail de journaliste, dès le départ, c’était un moyen qui permettait de distinguer mon travail pour me démarquer un peu du peloton. L’accès à l’information était relativement nouveau à l’époque et c’était un moyen intéressant de trouver des sujets originaux. J’ai donc vu cela comme un avantage concurrentiel, un moyen d’informer le public sur ce qui se passait, de trouver des exclusivités et, honnêtement, de bâtir ma carrière.

PK :

Vous êtes dans le domaine journalistique depuis plusieurs années. Pouvez-vous me dire en quoi, selon vous, le journalisme d’enquête a changé au cours des dix dernières années ou à peu près?

JB :

Nous avons beaucoup plus de sources d’information à notre disposition. Les médias sociaux ont changé les choses de façon spectaculaire au cours des dernières années. C’est un flot constant de distractions et d’informations qui nous parviennent de différentes plateformes. Il est donc plus difficile de faire un tri et de trouver des données et des faits utiles, de séparer le bon grain de l’ivraie si vous voulez, et c’est un défi aujourd’hui.

PK :

Vous avez mentionné que même au début, quand vos mentors vous encadraient, l’accès à l’information était réellement essentiel à votre travail de journaliste. Combien de fois, diriez-vous, avez-vous présenté des demandes d’accès à l’information et globalement, quelle a été votre expérience relativement au système d’accès à l’information?

JB :

J’utilise l’accès à l’information très souvent depuis que je suis journaliste; je présente des dizaines, voire des centaines, de demandes par année. L’accès à l’information garde donc toute son importance à mon avis. Disons qu’avec l’avalanche d’informations qui nous tombe dessus, l’accès à l’information peut être encore plus important aujourd’hui en raison de ce qu’on appelle la théorie de l’iceberg dans le journalisme et l’information. Nous connaissons tous le truisme au sujet des icebergs : on en voit 10 % et 90 % se trouve sous la surface. Je dirais que c’est à peu près la même chose pour tout organisme, particulièrement un ministère gouvernemental.

Nous voyons que 10 % de l’iceberg en information est constitué de communiqués, de conférences de presse, de points de presse, de discours et d’autres choses du même genre. Mais sous la surface, il y a le 90 % qui est crucial pour nos articles. Nous parlons ici de courriels, de notes d’information, de notes de service, de rapports, de choses que le ministère ne veut peut-être pas qu’on voie. C’est pourquoi l’accès à l’information est toujours primordial pour accéder au reste de l’iceberg. Et je pense que c’est encore plus vrai aujourd’hui, alors que la pointe de l’iceberg se trouve dans les médias sociaux, sur Internet, et qu’il est plus important que jamais d’aller au fond des choses.

PK :

Donc, l’accès à l’information est un outil que vous utilisez pour accéder à la partie cachée, le 90 %, de l’iceberg, pour utiliser votre image, même si nous savons tous qu’il faut parfois beaucoup de temps pour obtenir l’accès à l’information. Comment donc utiliser l’accès à l’information tout en suivant le rythme des nouvelles d’aujourd’hui et en préservant votre avantage concurrentiel pour informer le public le plus rapidement possible?

JB :

C’est un défi en effet, compte tenu de tous les problèmes bien connus que pose l’accès à l’information, mais quand on a un plan, qu’on présente de nombreuses demandes et qu’on en fait le suivi, cela donne des résultats. C’est vrai que parfois on reçoit les renseignements demandés un peu tard, ou très tard, et ils ne sont plus utiles. Mais pour beaucoup d’enjeux, l’information tend à nous suivre pendant des mois, voire des années. Quand on présente une demande d’accès à l’information sur un sujet dont on sait qu’il sera pertinent dans les mois ou les années à venir, un sujet important comme le changement climatique ou le contrôle des armes à feu, on a un cheminement qui se fait sur une longue période, alors même si on obtient les renseignements des mois ou même des années plus tard, ça peut être utile pour compléter le portrait de la situation.

PK :

Intéressant. Une chose est sûre, il faut quand même réclamer que l’accès à l’information soit plus efficace, mais vous soulevez là un bon point. Donc, Jim, de toute évidence, vous utilisez beaucoup le programme fédéral d’accès à l’information. Compte tenu de votre expérience, je me demande si vous avez des conseils à donner sur ce qu’une province comme l’Ontario peut faire pour faire avancer et moderniser le programme d’accès à l’information dans notre province.

JB :

En fait, le gouvernement fédéral fait quelque chose que l’Ontario et d’autres provinces pourraient imiter, et c’est de dresser une liste de toutes les demandes d’accès auxquelles il a répondu. Chaque ministère ou organisme inscrit dans un portail une liste des demandes auxquelles il a répondu pendant le mois. J’utilise ces listes dans mon travail. Pour les organismes que je suis, la GRC, la sécurité publique, je consulte leur liste pour voir ce qu’ils ont divulgué et je demande à ces organismes des copies des demandes, et souvent elles sont très utiles.

Donc, quelqu’un d’autre a présenté la demande et fait une partie de mon travail. Les documents ont été divulgués, mais souvent ce n’est pas à un journaliste, c’est plutôt à une entreprise ou peut-être à un chercheur. Si l’information n’a pas été publiée ou si elle n’est pas déjà publique, je vais y trouver matière à reportage. J’ai remarqué que d’autres provinces, dans certains cas, vont encore plus loin et affichent non seulement des listes de ce qu’elles ont divulgué, mais aussi les documents eux-mêmes. Soit en PDF, soit des liens vers ces documents.

La Colombie-Britannique fait ça. La Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et d’autres, et des villes ont commencé à le faire sporadiquement. C’est une tendance intéressante et je pense que c’est quelque chose que l’Ontario pourrait faire. Cela permettrait de faire d’une pierre deux coups : les utilisateurs qui sont un peu craintifs à l’idée de recourir à la loi pour voir ce qui peut être divulgué pourraient obtenir les documents tout de suite et trouver des idées pour leurs propres demandes.

Cela atténue également les pressions sur le système parce que les gens peuvent consulter cette liste, leur permettant d’obtenir les documents qui les intéressent, et peut-être d’éviter de présenter une demande immédiatement. L’information est là et le ministère a X demandes de moins à traiter. Tout le monde est content. Je pense donc que c’est une tendance à adopter.

PK :

C’est certainement un bon exemple qu’on pourrait envisager de suivre ici en Ontario. Je pense que l’on conçoit généralement qu’une fois l’information divulguée à l’auteur de la demande, c’est comme si elle avait été divulguée au monde entier. Alors, une fois que l’information a été divulguée, pourquoi ne pas la mettre à la disposition des autres, comme vous dites, et contribuer ainsi à réduire la pression sur le système en évitant les demandes d’accès aux mêmes renseignements? Maintenant, venons-en à la partie qui m’intéresse le plus : pouvez-vous nous dire quels reportages vous avez produits au fil des ans à partir de renseignements que vous avez obtenus par l’entremise d’une demande d’accès à l’information? Avez-vous des exemples de reportages que nos auditeurs pourraient reconnaître?

JB :

Un reportage que les gens pourraient reconnaître a porté sur l’utilisation des pistolets à impulsion électrique, les P.I.E. Une collègue, Sue Bailey, et moi à la Presse canadienne avions commencé à nous pencher sur l’utilisation des P.I.E. il y a quelques années. À cette époque, la GRC était le principal utilisateur de ces pistolets qui, comme on sait, sont utilisés au lieu d’une arme à feu pour paralyser au moyen d’une décharge électrique lors d’une altercation. C’est ça son utilité. Nous avons vu quelques reportages sur leur utilisation plutôt douteuse dans certains cas. Nous avons alors pensé examiner ce sujet de façon systématique et nous avons produit une série de reportages qui survolaient la question.

Une des choses que nous avons découvertes pendant notre travail par l’entremise d’une demande d’accès à l’information c’est que chaque fois qu’un agent de la GRC sortait son P.I.E. de son étui, même s’il ne l’utilisait pas, il devait remplir un formulaire. Dans une entrevue, j’ai posé une question : « Pourriez-vous m’en dire plus à ce sujet? » Un représentant de la GRC a alors répondu : « Oui, oui, oui, nous remplissons ces formulaires. » J’ai demandé à les voir et plusieurs mois plus tard, une boîte de formulaires est arrivée à notre bureau décrivant comment les P.I.E. avaient été utilisés… de 2002 à peu près à 2005.

Passons à un événement malheureux que vos auditeurs se rappelleront : l’incident à l’aéroport de Vancouver impliquant Robert Dziekanski, qui est mort après avoir reçu des décharges de P.I.E. Cette situation a suscité beaucoup d’inquiétude concernant l’utilisation de ces pistolets. Lors d’une réunion de production, un rédacteur a dit : « N’avez-vous pas une boîte qui contient des formulaires expliquant comment la GRC utilise ces pistolets? » « Oui, nous l’avons. » « Pourriez-vous y jeter un coup d’œil? » Nous avions fait le travail de base. Nous étions prêts à analyser les documents avec une base de données.

Nous avons ainsi appris que dans près des trois quarts des occasions où la GRC avait utilisé des P.I.E., la personne visée n’avait pas d’arme. Cela va à l’encontre de l’explication : « Oh! Vous savez, les P.I.E. sont utilisés pour qu’une personne laisse tomber un couteau ou un fusil ou quand on a affaire à un individu très violent. » Nous avons également déterminé dans le cadre de notre travail que les P.I.E. sont parfois utilisés pour amener une personne à coopérer plutôt que pour désamorcer une menace qu’elle pose. Nous avons ainsi pu présenter un tableau statistique de la situation, ce qui aurait été impossible sans l’accès à l’information.

PK :

Très bon exemple de ce que vous avez mentionné un peu plus tôt : comment les demandes d’accès à l’information donnent certainement des résultats lorsqu’il s’agit de questions comme celle-ci, qui évoluent continuellement et ont une importance fondamentale pour la société. À la suite des faits que vous avez mis au jour et présentés sous forme de reportages concernant ce tragique incident, selon vous, quels changements ont été apportés après que cette affaire a été rendue publique?

JB :

Nous sommes allés plus loin et nous nous sommes associés à CBC et à Radio-Canada, et nous avons pu ainsi obtenir plus de renseignements que ceux que nous avions reçus après notre première demande, ce qui nous a permis de poursuivre notre travail. Nous avons pu démontrer que la GRC utilisait cette arme très puissante en contravention à leur politique, parce que nous avons pu comparer les données sur l’utilisation réelle des P.I.E. à leur utilisation prévue. Je pense que nous avons suscité un débat. Il y a eu des éditoriaux. Le public s’est beaucoup intéressé à cette question.

Encore une fois, la triste histoire de M. Dziekanski a permis de jeter un éclairage là-dessus. On voulait réellement comprendre comment ces armes devraient être utilisées. Elles ont été déployées dans d’autres services à l’échelle du pays. Je pense que cela a certainement suscité une réflexion profonde sur l’utilisation de ces armes et les circonstances dans lesquelles elles devraient être utilisées.

PK :

C’est un exemple fascinant, Jim. Avez-vous d’autres exemples semblables que vous pouvez nous donner?

JB :

Il y a un autre sujet qui s’est échelonné sur une longue période, un cas d’archive. Comme vous l’avez mentionné, je couvre les questions de sécurité et liées à la GRC. Pendant de nombreuses années, la GRC était notre service d’espionnage et tenait des dossiers sur toutes sortes de gens, dont des politiciens, et l’un d’eux était Tommy Douglas. En vertu de la loi, comme certains le savent peut-être, vous pouvez obtenir un dossier de la GRC sur une personne 20 ans après que sa mort. J’ai donc décidé que je demanderais le dossier sur Tommy Douglas 20 ans après sa mort.

Tommy Douglas, évidemment, a été le chef et pionnier socialiste du NPD, et pour beaucoup, le père de l’assurance maladie au Canada. Effectivement, la GRC avait tout un dossier à son sujet, et l’a surveillé pendant des années. J’ai demandé l’accès à son dossier en 2005, juste avant l’anniversaire de son décès et j’ai dit à la GRC : « Ça va vous prendre du temps pour traiter cette demande. S’il vous plaît, mettez-vous au travail. » En 2006, j’ai reçu ce dossier, mais une bonne partie du texte était caviardée. Mais cela a confirmé qu’effectivement, la GRC avait tout un dossier sur M. Douglas, ce qui a donné lieu à un débat sur ce que faisait notre service de sécurité et sur la pertinence des efforts qu’il déployait pour surveiller tant de gens qui, à leur avis, étaient des gens subversifs de la gauche.

Cela voulait dire aussi qu’il a fallu porter plainte, à cause des parties caviardées, et nous avons fait appel à la Cour fédérale. Nous sommes parvenus à obtenir la divulgation d’une plus grande partie du dossier. Je pense que ce cas a aussi changé les choses, un peu, pour les personnes qui cherchent ce genre d’information, parce que le juge qui a statué sur cette cause a déterminé que plus de renseignements auraient dû être divulgués et a ordonné au gouvernement de le faire, ce qu’il a fait.

PK :

C’est intéressant de voir combien ce deuxième exemple montre vraiment ce que la persistance peut rapporter; d’un côté, il faut attendre 20 ans, mais aussi il faut anticiper et faciliter les choses en présentant une demande au cours de la 19année, compte tenu de tout le temps qu’il faut pour réunir les documents. C’est un exemple fascinant qui illustre non seulement l’importance de l’objet de votre enquête, mais également du processus. Actuellement, vous enseignez aussi à l’Université Carleton à Ottawa sur les questions d’accès à l’information et vous avez écrit un livre sur ce processus. Pouvez-vous nous dire ce que vous enseignez à vos élèves sur ce que vous avez fait pour avoir accès à des renseignements sur la santé que détient le gouvernement, et les conseils que vous donnez aux lecteurs de votre livre?

JB :

Une des premières choses que j’enseigne c’est de toujours demander, de façon informelle : « Bonjour. Est-ce que je pourrais avoir ce rapport? Est-ce que je pourrais avoir le dossier sur Tommy Douglas? Est-ce que je peux avoir des renseignements sur l’utilisation du pistolet à impulsion électrique? » Parce que les renseignements sont créés par des organismes gouvernementaux et publics en notre nom, avec l’argent des contribuables. Je pense donc que la voie la plus facile et la plus rapide c’est de demander les documents, de donner un coup de fil, d’envoyer un courriel et de demander à l’organisme pourquoi vous ne pouvez pas voir le document, le cas échéant.

Pourquoi est-ce que je dois présenter une demande d’accès à l’information? Oui, ces outils existent, mais ils servent de filet de sécurité. Ils devraient être utilisés en dernier recours et non être le premier réflexe. C’est la première chose que je leur dis : faites pression, essayez d’obtenir ce que vous voulez. Si l’organisme en question vous répond que le dossier sur Tommy Douglas contient des renseignements de sécurité et que, même après toutes ces décennies, il ne peut pas le rendre public en raison de renseignements personnels qu’il contient, d’accord, vous pouvez présenter une demande d’accès à l’information.

Faire quelques recherches comme vous le suggérez est un bon point de départ. Voyez ce qui est disponible et accessible. D’autres documents ont-ils été divulgués sur ce sujet? D’autres demandes ont-elles été présentées? Voyez quels reportages ont été écrits sur le sujet, quels rapports du gouvernement vous pouvez trouver sur Internet. Faites une recherche préliminaire. À ce moment-là seulement vous pouvez vous demander ce que vous voulez vraiment savoir. J’incite donc mes étudiants à dresser des listes de questions sur ce qu’ils ne savent pas. S’ils ne peuvent pas trouver de réponses à ces questions rapidement et facilement dans les reportages ou dans les sites du gouvernement, ils peuvent partir de ces questions pour rédiger leur demande.

Il s’agit donc de préparer sa demande d’une manière qui saisit bien ce que vous cherchez. Elle ne devrait pas être trop générale. Il faut la circonscrire parce que, sinon, on va vous répondre qu’elle est trop vague. Si vous connaissez l’auteur, mentionnez-le. Vous pouvez préciser une certaine période. Donc, ne demandez pas des renseignements qui couvrent des décennies, mais plutôt la dernière année ou les deux dernières années. Je dis souvent que vous ne devriez pas demander des documents qui s’étalent sur plus de six mois quand il s’agit d’un sujet brûlant.

Faites attention au genre de documents que vous demandez et à la période, et faites en sorte que votre demande ne soit ni trop générale ni trop spécifique. C’est un bon point de départ, mais après que vous avez rédigé votre demande, vous la présentez et faites le suivi. Souvent, un représentant de l’organisme vous répondra. Si on vous dit que la formulation est problématique… Vous pouvez être proactif et appeler pour demander s’ils ont reçu votre demande et si ça va. Vous devriez recevoir une lettre qui vous dira : « Nous avons reçu votre demande et tout semble en ordre. » Souvent, une prolongation est demandée. Comme vos auditeurs le savent, pour la plupart des demandes, une réponse doit être donnée dans un délai de 30 jours. Mais c’est un minimum. Souvent, l’organisme demandera une prolongation de 60, 90 et, malheureusement, 180 jours ou même un an pour répondre à votre demande.

Si c’est le cas, c’est peut-être que votre demande est trop vague. Vous pouvez alors demander à l’analyste qui s’en occupe : « Est-ce qu’on peut la circonscrire? » Vous avez déjà présenté votre demande, mais elle n’est pas coulée dans le béton. Vous pouvez la peaufiner, la circonscrire. Cela peut changer le délai de réponse, et ça vaut souvent la peine de le faire, parce que vous voulez éviter de recevoir une estimation des frais de recherche et de préparation que les organismes peuvent imposer.

PK :

Génial! Vous semblez enseigner à vos étudiants une méthode très rigoureuse, structurée et réfléchie, et très judicieuse aussi. Je pense que ces conseils pratiques sont très importants. Donc vous demandez à tous vos étudiants, dans le cadre du programme, de présenter une demande d’accès à l’information et de tirer des leçons de leur expérience.

JB :

Oui. Cela aide les étudiants à comprendre que c’est un outil qu’ils devraient utiliser, et pas seulement pour notre cours, mais dans les salles de nouvelles où ils travaillent, et certains l’ont adopté et l’ont littéralement intégré dans leur travail. De nos jours, connaître les lois sur l’accès à l’information, c’est une condition d’emploi pour les journalistes. Il faut savoir comment dénicher les renseignements qu’il nous faut. Alors, oui, c’est plus qu’un exercice théorique. Nous leur disons que même quand on travaille dans d’autres domaines, comme le droit, la recherche, ou pour un groupe d’intérêts, c’est un outil précieux. Ça l’est même pour les simples citoyens. Beaucoup de demandes proviennent du public, bien sûr, et cet outil peut se révéler utile à toute personne qui s’intéresse à ce que font les organismes publics.

PK :

Si on s’éloigne un peu du processus et du travail liés aux demandes d’accès à l’information pour aborder des questions stratégiques plus larges, mon bureau a adopté récemment La protection de la vie privée et la transparence dans un gouvernement moderne, une priorité stratégique pour notre travail. Quels sont selon vous les principaux défis, les gros défis, liés à l’accès à l’information? À votre avis, comment un bureau comme le mien peut-il faire avancer fondamentalement le droit à l’information et la transparence du gouvernement?

JB :

Je pense qu’il faut examiner certains aspects. Le premier est l’approche et le ton généraux des organismes publics et des gouvernements à l’égard de la transparence. Le deuxième, ce sont les lois elles-mêmes, les lois qui régissent l’accès à l’information. Le troisième, c’est l’application des lois. Je pense que ces trois choses sont importantes et doivent fonctionner de concert pour assurer le genre de transparence auquel le public a droit. Certainement, votre bureau et les ministères doivent adopter l’approche selon laquelle la transparence est essentielle au bon fonctionnement du gouvernement, qu’on n’a rien à craindre et qu’en fait, cela aide le gouvernement à être plus efficace.

Cette approche permet d’économiser, elle peut favoriser la démocratie. Les lois sur l’accès à l’information en font partie intégrante. Certaines choses que les gouvernements divulguent proactivement, comme les rapports de dépenses, les titres des notes d’information et autres choses du même genre, sont utiles, mais ce n’est pas tout. Je pense que les lois sur l’accès à l’information demeurent essentielles et que la divulgation proactive ne les remplacera pas ou ne les rendra pas inutiles. Il est donc important de s’assurer que nous avons de bonnes lois, des lois modernes et rigoureuses.

On parle de circonscrire les exceptions qui permettent aux organismes de ne pas divulguer des renseignements, de faire en sorte que les documents du conseil des ministres ne soient pas indûment protégés et de veiller à ce que tous les organismes qui devraient l’être soient assujettis à la loi. Il y a aussi l’application de la loi, et nous avons vu que ce problème a été exacerbé pendant la pandémie pour des raisons évidentes. Les gens télétravaillent, les fonctionnaires n’ont pas accès aux documents pour les consulter, parce que ces documents sont encore en format papier et qu’ils doivent aller au bureau pour consulter des documents papier afin de traiter les demandes. C’est encore le cas aujourd’hui.

Bien des questions sont donc soulevées sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas du côté de l’application des lois. Y a-t-il assez d’employés pour répondre aux demandes? Les services responsables de l’accès sont-ils bien financés? Est-ce une priorité du gouvernement, ou est-ce qu’on confie ce travail à un petit service qu’on néglige, et si on ne respecte pas un délai, il n’y a pas de pénalité? Il n’existe aucun incitatif à respecter les délais de la loi. Tous les aspects doivent être harmonisés, je crois.

Les fonctionnaires du parlement et le gouvernement doivent faire preuve de leadership, et il faut une loi rigoureuse, moderne, à jour et adaptée à l’ère d’Internet. Les attentes des gens ont changé. Ils ne voient pas nécessairement la nécessité de protéger les documents du conseil des ministres pendant 20 ans à l’ère d’Internet. Ils attendent plus de transparence pour un large éventail de documents. Ils ne veulent pas attendre des mois ou des années pour recevoir des documents, et dans bien des cas, ils ne devraient pas avoir à attendre aussi longtemps.

Quand ils portent plainte à votre bureau ou au palier fédéral, ils s’attendent à trouver un organisme bien financé et apte à réagir qui prendra leur plainte en charge rapidement et la réglera. Il faut que les différents services collaborent et se demandent comment ils peuvent régler ce problème. Tout cela doit se faire pour assurer l’efficacité des lois et de la transparence.

PK :

Wow! Vous venez de me donner une bonne raison de réfléchir à votre triple solution, en commençant par une culture dirigée par un leadership solide, le besoin continu de réformes législatives et, bien sûr, l’application concrète des lois sur le terrain, ce qui comprend mon bureau. Un gros merci, Jim, d’avoir pris le temps de vous joindre à nous pour cet épisode de L’info ça compte. Nous avons beaucoup apprécié votre réflexion. Cette discussion fascinante nous a exposé un point de vue très différent sur l’accès à l’information et l’objectif essentiel de ces lois.

Comme l’a clairement montré notre conversation, un programme d’accès à l’information rigoureux et efficace est indispensable pour que les journalistes comme vous et les autres membres de la presse puissent faire leur travail pour soutenir une saine démocratie. Cela a été très inspirant et je vous félicite pour le travail que vous faites sans relâche pour découvrir les faits que nous, les membres du public, devons connaître.

Les auditeurs qui veulent en savoir plus sur la perspective journalistique de l’accès à l’information trouveront les coordonnées du livre de Jim Bronskill dans les notes de l’épisode. Pour ceux qui veulent connaître tous les tenants et aboutissants de la présentation d’une demande d’accès à l’information, je vous encourage à écouter un autre de nos balados, intitulé Démystifier le processus d’accès à l’information, qui explique la marche à suivre en détail. Vous le trouverez avec tous les autres balados de L’info, ça compte, là où vous écoutez vos balados. Vous pouvez aussi visiter notre site Web à ipc.on.ca, où vous trouverez une variété de sujets traitant de l’accès à l’information et de la protection de la vie privée, ou encore téléphoner ou envoyer un courriel à notre bureau pour recevoir de l’aide et des renseignements généraux sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée en Ontario.

C’est ici que se termine cet épisode intitulé Accès à l’information à la une! Merci de nous avoir écoutés. À la prochaine.

Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous avez écouté L’info, ça compte. Si vous avez aimé ce balado, laissez-nous une note ou un commentaire. Si vous souhaitez en savoir plus sur un sujet qui concerne l’accès à l’information ou la protection de la vie privée dans un épisode futur, communiquez avec nous. Envoyez-nous un gazouillis à IPCinfoprivacy ou un courriel à [email protected]. Merci d’avoir été des nôtres, et à bientôt pour d’autres conversations sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information. Si ça compte pour vous, ça compte pour moi.

Jim Bronskill est un journaliste primé du bureau d’Ottawa de La Presse Canadienne, qui se spécialise dans les reportages sur la sécurité et le renseignement, les services policiers et les questions relatives à la justice. Il écrit aussi souvent sur la vie privée dans le monde numérique.

  • Le parcours vers une carrière en journalisme [2:31]
  • L’évolution du journalisme d’enquête au fil des ans [4:11]
  • Les demandes d’accès à l’information, un outil important en journalisme [4:51]
  • La théorie de l’iceberg en journalisme [5:31]
  • Découvrir la partie cachée de l’iceberg en présentant des demandes d’accès à l’information [6:20]
  • Trouver un équilibre entre les délais de réponse aux demandes d’accès à l’information et les échéances en journalisme [6:55]
  • Moyens de faire progresser et de moderniser le système d’accès à l’information [8:20]
  • Grands reportages qui ont commencé par des demandes d’accès à l’information [11:15]
  • Éclairage sur l’utilisation des pistolets à impulsion électrique par la GRC grâce à l’accès à l’information [12:18]
  • Les dossiers sur Tommy Douglas [15:55]
  • Conseils pour présenter une demande d’accès à l’information [18:43]
  • Les principaux enjeux relatifs à l’accès à l’information et au droit à l’information [24:30]
  • La nécessité d’un leadership solide pour favoriser l’accès à l’information, la modernisation des lois et l’adoption de solutions administratives concrètes [25:31]

Ressources

L’Info, ça compte est un balado sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information animé par Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée. Avec des invités de tous les milieux, nous parlons des questions qui les intéressent le plus sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information.

Si vous avez aimé cet épisode, laissez-nous une note ou un commentaire.

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