S3-Épisode 9 : Renforcer l’autonomie des jeunes femmes et des jeunes filles dans le monde numérique

14 décembre 2023

Les espaces en réseau offrent aux jeunes d’innombrables possibilités de se connecter et de partager des idées et des informations comme jamais auparavant. Mais pour les jeunes femmes et les jeunes filles, le monde en ligne peut être un endroit hostile, alimentant la gêne, le doute et la peur. Jane Bailey et Valerie Steeves, professeures à l’Université d’Ottawa, parlent du projet eQuality. Sa mission est d’aider les jeunes à créer un environnement en réseau où ils peuvent participer sur un pied d’égalité, sans surveillance ni harcèlement fondé sur l’identité.


Les renseignements, opinions et recommandations que contient ce balado sont présentés à des fins d’information générale uniquement, et ne peuvent pas se substituer à des conseils juridiques. Sauf indication contraire, le CIPVP ne soutient, n’approuve, ne recommande, ni n’atteste aucun renseignement, produit, processus, service ou organisme présenté ou mentionné dans ce balado. En outre, les renseignements que contient ce balado ne doivent pas être utilisés ni reproduits d’une manière qui sous-entend un tel soutien ou une telle approbation. Les renseignements, opinions et recommandations présentés dans ce balado ne lient pas le Tribunal du CIPVP, qui peut être appelé à enquêter et à rendre une décision sur une plainte ou un appel en se fondant sur les circonstances et les faits pertinents.

Patricia Kosseim :

Bonjour. Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous écoutez L’info, ça compte, un balado sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information. Nous discutons avec des gens de tous les milieux des questions concernant l’accès à l’information et la protection de la vie privée qui comptent le plus pour eux.

Bonjour, chers auditeurs, et bienvenue à cet épisode de L’info, ça compte. Nous vivons une époque sans précédent dans l’histoire. Internet permet aux jeunes du monde entier de se communiquer des informations et des idées comme jamais auparavant. Dans les espaces réseautés, la jeune génération peut se faire de nouveaux amis, nouer des relations, explorer de nouvelles idées, apprendre et s’épanouir. L’identité numérique d’un jeune, qui représente ce qu’il publie et ce que d’autres personnes peuvent publier à son sujet, a un impact considérable sur lui, aujourd’hui et demain. Ce phénomène suscite des inquiétudes concernant la vie privée des jeunes, leur identité et leur égalité dans notre monde de plus en plus réseauté. Pour les jeunes femmes et les jeunes filles en particulier, l’environnement numérique peut être un lieu hostile, voire nuisible. Sur les plateformes en ligne, il est facile de critiquer ou de juger les autres de manière anonyme, sans craindre les conséquences que l’on subirait dans la vraie vie. Des entreprises peuvent exploiter leur sentiment d’insécurité pour les pousser à acheter des produits ou des services dont elles n’ont pas besoin, et des prédateurs profitent de leur vulnérabilité pour les attirer dans des situations dangereuses.

Le harcèlement sexuel, le voyeurisme et d’autres comportements préjudiciables, facilités par la technologie, peuvent inciter certaines filles et jeunes femmes à se détester à un moment où nombre d’entre elles commencent à peine à se forger une identité et une estime de soi. Certaines, désespérées, peuvent même se livrer à des actes d’automutilation. D’autres renoncent complètement aux médias sociaux, se privant ainsi de leur droit de participer au monde numérique sur un pied d’égalité. Dans cet épisode, nous parlerons de ce que vivent les jeunes femmes et les filles en particulier dans le monde en ligne et de la promotion de relations saines et du respect de l’égalité en ligne. Mes invitées sont les professeures Jane Bailey et Valerie Steeves de l’Université d’Ottawa. Elles codirigent l’eQuality Project, un partenariat d’universitaires, de décideurs, d’enseignants, d’organismes communautaires et de jeunes dont la mission est d’aider les jeunes à créer un environnement réseauté où ils peuvent participer en toute égalité, sans surveillance ni harcèlement fondé sur leur identité.

Jane et Val, bienvenue au balado. Merci beaucoup d’être des nôtres.

Valerie Steeves :

Merci, je suis ravie de me joindre à vous.

Jane Bailey :

Je suis très heureuse d’être là, merci.

PK :

Pour commencer, parlons un peu de votre travail et de ce qui vous a amenées à vous intéresser à l’incidence sociétale et culturelle d’Internet sur les adolescents, et plus particulièrement sur les jeunes filles. Jane, commençons par vous. Qu’est-ce qui vous a fait emprunter cette voie dans votre carrière de juriste?

JB :

D’aussi loin que je me souvienne, le féminisme a toujours été au centre de mon identité, de ma façon de penser et d’agir, même lorsque j’ignorais encore le sens de ce mot. Au début de ma carrière, j’ai exercé en tant qu’avocate en droit civil et j’ai eu la chance, comme co-avocate novice, de participer à la première affaire d’incitation à la haine sur Internet portée devant le Tribunal canadien des droits de la personne, ce qui a éveillé mon intérêt pour la manière dont les technologies numériques perpétuaient et continuent de perpétuer, à mon avis, la marginalisation des communautés en quête d’égalité. Et c’est devenu mon projet de recherche à la maîtrise, et il y a 21 ans, j’ai été embauchée par le groupe du droit de la technologie de l’Université d’Ottawa et j’ai rencontré des chercheurs fantastiques comme Val, qui étaient tout aussi préoccupés que moi par les répercussions de l’environnement numérique sur les droits de la personne.

PK :

Et vous, Val? Vous êtes professeure au département de criminologie. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l’impact des nouvelles technologies sur les droits de la personne et, en particulier, sur le droit à la vie privée des jeunes?

VS :

Je dis toujours que j’ai commencé à penser à la protection de la vie privée parce que j’ai cinq enfants et que, pendant leur enfance, je n’avais aucune vie privée. Quatre d’entre eux sont des filles, j’ai donc toujours eu un petit groupe de discussion chez moi. De la plus âgée à la plus jeune, il y a eu des changements phénoménaux, des pressions incroyables. Il s’agit donc en partie de mon expérience vécue. Sur le plan professionnel, la protection de la vie privée a toujours été une question importante pour moi, car j’ai pratiqué le droit pénal et c’est un élément central de la façon dont nous négocions les relations démocratiques entre le citoyen et l’État. Quand on observe le déploiement de ces technologies, il est fascinant de voir combien les entreprises sont devenues partie prenante de ce processus.

Après avoir enseigné pendant plusieurs années, j’ai obtenu un doctorat en communication afin de pouvoir analyser les questions théoriques entourant la vie privée, la protection des données et les solutions juridiques auxquelles nous faisons appel, car il existe un décalage entre le discours des adultes sur ces questions, ce qui les préoccupe et ce qui se passe réellement dans la vie des jeunes. Il nous appartient de bien réfléchir aux politiques à mettre en place pour refléter les intérêts, les points de vue et l’expérience vécue des enfants.

PK :

Parlez-nous un peu plus de l’eQuality Project, qui, si j’ai bien compris, s’appuie sur l’eGirls Project que vous avez lancé précédemment. Quels étaient ses objectifs au début?

JB :

Avec le recul, je perçois une distinction claire entre eGirls et eQuality, parce que les filles et les jeunes femmes à qui nous avons parlé dans le cadre d’eGirls nous ont fait clairement comprendre qu’elles en avaient assez qu’on leur dise ce qu’elles devaient faire ou ne pas faire. Les entreprises avides de données qui, selon elles, les exposaient à des stéréotypes, à des conflits et au harcèlement semblaient n’attirer que très peu d’attention. Je me souviens d’une conversation entre Val, moi et les co-chercheurs sur la suite à donner à eGirls, et nous nous sommes donné pour objectif de créer un environnement numérique que les enfants souhaitent et qu’ils méritent. Et nous savions, compte tenu de ce que les filles et les jeunes femmes nous avaient dit, que les pratiques des entreprises devaient vraiment constituer un élément essentiel de cet objectif. Nous concentrer comme avant sur ce que les filles faisaient, sur ce que les parents faisaient et ainsi de suite, n’allait pas nous conduire à l’environnement que nous espérions et que les enfants méritaient.

VS :

L’une des choses qui sont devenues évidentes dans le cadre d’eGirls, c’est que les entreprises conçoivent les sites de manière à exposer les enfants à une forme de jugement qui les conduit à entrer en conflit les uns avec les autres, tout en leur causant des problèmes lorsqu’il s’agit de s’orienter simplement dans leur vie sociale. Il était donc important de s’interroger sur la conception commerciale des sites. Il fallait se résoudre à dire qu’en fait, l’environnement dans lequel ils se trouvent est conçu pour encourager cette pratique, c’est-à-dire que l’objectif est de recueillir toutes ces données. Je dirais donc que l’un des changements les plus importants qui se sont opérés avec le temps a été de voir le point de vue des jeunes évoluer à mesure qu’ils se sensibilisaient à ce processus. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient observés, que les entreprises s’intéressaient à eux. Ils ont compris que tout ça se passait, et aujourd’hui, ça se passe même à l’école.

Ce n’est pas seulement dans les médias sociaux. Aujourd’hui, on me demande d’utiliser toutes ces technologies à l’école et au travail, et même dans mes relations familiales pour communiquer avec les membres de ma famille, et je ne peux rien y faire parce que je suis entraînée dans cette relation commerciale qui ne m’intéresse vraiment pas. Je dirais que depuis un ou deux ans, sur le terrain, ça va plus loin – je pense qu’il y a de la colère à ce sujet maintenant, surtout dans les écoles. Nous nous sommes beaucoup penchés sur les applications d’apprentissage personnalisé, sur la collecte des données des enfants, sur la manière dont elles leur sont communiquées et sur ce qu’ils pensent de la surveillance qu’ils subissent dans le domaine de l’éducation. On remet en question le comportement de ces entreprises, on leur demande de nous laisser tranquilles. On ne veut pas participer à cette démarche où tout est commercialisé. Je dirais que c’est là le virage le plus important qui s’est produit au cours de cette période.

PK :

Vous vous souvenez sans doute qu’il y a quelques années, une ancienne employée de Facebook, Frances Haugen, a témoigné devant un sous-comité du Sénat américain après avoir divulgué des recherches internes montrant que l’entreprise était au courant des effets négatifs d’Instagram sur certains adolescents, y compris des risques toxiques pour leur santé mentale. Ce témoignage vous a-t-il surprises ou a-t-il fait écho à vos propres conclusions concernant les plateformes de médias sociaux en général?

VS :

Les jeunes nous en parlent depuis des années. Nous avons passé beaucoup de temps à examiner les modalités d’utilisation et les politiques de confidentialité et à essayer de faire le suivi des données parce qu’il y a si peu de transparence, et tout ce que nous avons trouvé au cours de nos recherches montrait que c’était voulu. Pas dans le sens où un comité s’est réuni et a décidé de créer un environnement vraiment néfaste pour les enfants, mais dans le sens où on s’est dit, si on peut avoir accès à ces données, on pourra les monnayer, faire beaucoup d’argent. Alors il faut fidéliser les utilisateurs, les rendre dépendants au service, et la dépendance, en marketing, c’est une bonne chose. Il s’agit de faire en sorte que les enfants continuent de fréquenter ces environnements, et ils fourniront plus de renseignements, que l’on recueillera. Donc c’est voulu, pas pour causer du tort aux jeunes, mais pour générer des bénéfices pour les sociétés.

PK :

Jane, j’aimerais vous poser une question qui porte à la fois sur les nombreux progrès sociaux et culturels que les technologies numériques ont permis d’accomplir, mais aussi sur leur côté plus sombre, et en particulier sur ce que l’on appelle la violence facilitée par la technologie. Qu’est-ce que cela signifie pour vous? Qu’est-ce que la violence facilitée par la technologie?

JB :

Si j’utilise le terme « violence facilitée par la technologie » plutôt que cyberintimidation, cyberviolence ou violence en ligne, c’est surtout pour chasser l’idée que cette violence n’est pas concrète ou qu’elle se produit quelque part ailleurs, dans un autre univers. Il ne s’agit pas du genre de choses auxquelles le public pense ou dont il entend souvent parler. Évidemment ça comprend le harcèlement en ligne, la divulgation indésirable d’images intimes et de la propagande haineuse de la part de particuliers et de groupes. Mais j’y ajoute l’idée de violence facilitée par la technologie, que l’on a associée très clairement dans ce projet à la structure commerciale de l’environnement. L’environnement lui-même suscite des conflits entre les jeunes et cherche donc à perpétuer ces formes de violence. Il cause lui-même de la violence également, par exemple, avec des algorithmes qui classent et profilent les gens et intègrent des stéréotypes discriminatoires.

En privilégiant certains résultats de recherche et, comme Val l’a dit dans son travail, en tapissant le monde des jeunes de ces images, l’impact de cette violence est privilégié, distribué, et finit par exercer une influence. Donc il est important pour moi de dire qu’il ne s’agit pas simplement du comportement des utilisateurs, mais aussi de ce modèle commercial.

PK :

Et quelles en sont les conséquences pour les filles et les femmes en particulier?

JB :

Il y a beaucoup de données probantes et de recherches intéressantes qui ressortent à ce sujet, n’est-ce pas? Les filles et les jeunes femmes qui ont participé à l’eGirls Project nous ont dit écoutez, c’est un environnement où on nous encourage constamment à divulguer le maximum de données sur nous-mêmes, et ces données sont ensuite utilisées pour nous profiler, nous classer dans des catégories et nous renvoyer des stéréotypes en fonction de ces catégories. Elles étaient alors encouragées à imiter les autres, parce que selon la façon dont elles se représentaient elles-mêmes, la manière d’obtenir des mentions J’aime et des amis, les marqueurs de succès de l’environnement numérique donnaient lieu à une espèce de tempête parfaite. Déjà à l’époque, même si le processus de profilage n’était pas très clair, elles avaient une idée très précise de la façon dont tout convergeait pour créer un environnement très épuisant qui encourageait la compétition, la gêne, le doute et la peur des conséquences de ce portrait permanent créé par ce qui se passait dans l’environnement numérique et façonné par les pratiques commerciales dont nous avons toutes les deux déjà parlé.

VS :

Je pense qu’il existe également une forme de violence très subtile que nous avons pu observer au fur et à mesure que ces technologies sont devenues plus envahissantes. Nous avons demandé à des jeunes de nous expliquer ce qui les poussait à décider de publier ou non des photos. Ce qui ressort de cette recherche, c’est qu’il existe un fossé très net entre qui une personne est réellement, ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent et la façon dont elle se représente, surtout dans les espaces envahissants sur le plan  technologique. J’ai commencé un entretien avec une fille en lui disant : « Alors, on dirait que tu aimes les chevaux ». Elle m’a demandé pourquoi je pensais cela. Je lui ai répondu que depuis deux semaines, elle ne faisait que m’envoyer des photos de chevaux qu’elle avait publiées sur Internet. Et elle a dit, ah non, je déteste les chevaux. C’est juste que c’est un très bon thème pour Instagram. Personne ne publie des choses qui l’intéressent vraiment sur Internet, c’est dangereux, c’est terrible, ça peut te mettre en danger, on pourrait te juger.

Un jeune garçon aimait le base-ball, et il a dit la même chose. Une jeune fille adorait l’animé, et elle faisait tout en son pouvoir pour ne pas le révéler à ses camarades, à sa famille ou à la population en général, parce qu’être authentique, c’est s’exposer au jugement des autres, en quelque sorte.

PK :

D’après vos recherches, les jeunes s’autocensurent beaucoup, ce qui est inquiétant car ils se rendent compte que pour se protéger, ils doivent en fait cacher qui ils sont et être moins authentiques. Ce n’est certainement pas ce que nous voulons encourager au sein de nos jeunes générations. J’en viens donc à la question très complexe de l’éducation et du rôle qu’elle peut jouer pour aider les jeunes filles et les femmes à se protéger, mais aussi à participer pleinement et sur un pied d’égalité au monde numérique en ligne.

VS :

Je pense que le premier groupe que nous devons sensibiliser, ce sont les décideurs et les adultes, c’est-à-dire les enseignants et les parents. Les adultes sont très préoccupés par ces questions. Mais comme je l’ai déjà dit, il y a un écart entre leur perception du problème et la réalité. Dans ce genre de situation, nous donnons souvent des consignes aux enfants. Ne mettez pas votre nom sur Internet, ne mettez pas de photo, ne faites pas ceci, ne faites pas cela, et ils nous regardent et nous disent, ce n’est pas une solution. Ce n’est même pas le problème, mais ce n’est pas non plus la solution. Je pense donc que cette question nécessite vraiment beaucoup de sensibilisation, qui s’appuie sur un dialogue éclairé entre les gens. Nous en faisons donc beaucoup, nous examinons ces questions et nous essayons de créer un environnement, en particulier dans les écoles, mais aussi dans les groupes communautaires, où les jeunes peuvent parler de situations différentes de celles qu’ils vivent et exprimer leurs préoccupations à ce sujet.

Nous avons donc réalisé un film de 20 minutes qui se passe dans un avenir proche et qui raconte la vie d’une jeune fille qui utilise une technologie semblable à Google Glass pour améliorer ses notes en mathématiques, ce qui finit par avoir pour elle toutes sortes de conséquences sociales et politiques. Nous créons donc des exemples de ce genre que les jeunes peuvent utiliser en classe pour parler de ces questions et en discuter entre eux, mais aussi avec leurs enseignants, leurs parents et les adultes de leur entourage, afin de combler cet écart et de permettre aux adultes de comprendre exactement ce à quoi ces enfants sont confrontés. Nous essayons de combiner différentes méthodologies pour aller plus loin dans cette logique et créer des espaces où les jeunes peuvent exprimer leurs préoccupations et en parler aux adultes sur un pied d’égalité avec eux.

Nous avons donc organisé des ateliers où les jeunes ont pu discuter puis réaliser des projets pour rendre ces aspects tangibles, ce qui a été une expérience éducative phénoménale, mais nous avons également recouru au dialogue délibératif en invitant des décideurs comme vous dans une salle avec des jeunes pour tenir un débat éclairé afin de commencer à combler cet écart. Je pense que nous avons besoin d’une forme d’éducation beaucoup plus large, ancrée dans la démocratie, qui permette aux jeunes et aux adultes de discuter de questions vraiment très épineuses, du rôle du genre et de la race en ligne, et des types de conflits qu’ils rencontrent dans ces espaces.

PK :

Jane, je vous ai déjà entendue dire que nous ne devrions pas imposer tout le fardeau aux jeunes et qu’il y a beaucoup d’autres intervenants qui doivent apporter leur contribution, comme l’a dit Val. Que pensez-vous de l’importance de l’éducation et de toutes les parties prenantes, de toutes les personnes qui doivent intervenir pour aider les jeunes, en particulier les filles et les jeunes femmes, à participer en toute sécurité, pleinement et équitablement au monde en ligne?

JB :

Il s’agit donc de considérer les jeunes comme des détenteurs de droits. Ce principe s’appuie sur le fait que les jeunes ont des droits, dont ceux auxquels on pense souvent, à savoir le droit de ne pas subir de violence, le droit à la vie privée et le droit de ne pas être victime de discrimination, ainsi que toute une panoplie de droits conférés aux enfants et reconnus à l’échelle internationale. Un élément essentiel de tout ce que nous essayons de faire est donc de faire comprendre à toutes les parties prenantes qu’avant tout, les enfants sont des détenteurs de droits et qu’en toutes circonstances, nous devons respecter leurs expériences vécues, les mettre au cœur de nos préoccupations et créer des espaces où l’on respecte et défend leurs droits. Pour ce faire, il faut notamment utiliser les méthodes et les stratégies dont Val a parlé. Quand on réunit des jeunes et des décideurs dans le cadre d’un dialogue délibératif et qu’on demande à ces décideurs d’écouter et aux jeunes de diriger, on en vient à reconnaître que ces personnes sont des détenteurs de droits, des détenteurs de connaissances, des personnes dotées d’une expertise.

Cependant, nous avons toujours pris soin de préciser que quand on dit aux décideurs qu’il faut créer un espace pour entendre vraiment les expériences des jeunes, ce n’est pas la même chose que de leur dire que c’est maintenant aux enfants de trouver des solutions, qu’il faut réunir des enfants et leur demander quelles sont les solutions. Non : c’est la responsabilité des adultes, c’est notre responsabilité. Ce sont des politiques qui, depuis des décennies, ont abouti à la situation actuelle, et c’est à cause des adultes, et ce sont eux qui doivent assumer cette responsabilité. Si on évolue, comme par le passé, dans un contexte où le processus décisionnel n’est pas bien éclairé, nous connaîtrons échec après échec, en essayant de résoudre des problèmes qui, du point de vue des jeunes, ne sont pas les problèmes qu’il faut résoudre. Et nous proposerons des solutions comme une surveillance accrue qui, d’après les jeunes, sont elles-mêmes problématiques. La surveillance, ce n’est pas une solution, c’est le problème. Donc on ne change rien si on surveille les jeunes et si on leur dit qu’il revient à eux de faire ceci ou cela, et d’éviter de faire telle ou telle chose.

Je ne veux pas dire que tout ça est facile dans le sens où nous avons mis en place un environnement où l’industrie numérique apparaît comme essentielle à notre bien-être économique. Alors, quand nous entendons les jeunes nous faire part de leur vécu et nous dire que la façon dont cet environnement est mis en place n’est vraiment pas bonne pour eux ou pour leur santé, les décideurs se retrouvent dans une position très délicate. D’une part, nous avons dit que c’était essentiel à la réussite économique. Mais d’autre part, tout indique que le modèle que nous utilisons ne donnera pas les résultats escomptés et qu’il ne respectera pas les jeunes en tant que détenteurs de droits.

PK :

Vous m’avez invitée à participer à l’un de ces dialogues délibératifs avec vos groupes de discussion composés de jeunes enfants et de jeunes adultes qui participent à votre projet, et j’ai trouvé cela incroyablement révélateur. Et vous avez raison, j’étais là en tant qu’observatrice et j’ai trouvé qu’il était très révélateur et informatif d’écouter des enfants animer la discussion et partager leur vécu de première main. Lorsque nous avons décidé de créer un conseil consultatif de la jeunesse, nous nous sommes adressés à vous deux et je tiens à vous remercier chaleureusement de nous avoir fait part de vos idées et de votre expérience sur la manière de mettre sur pied un conseil composé de jeunes personnes motivées. Alors, comment nous conseillez-vous de continuer à mobiliser notre conseil consultatif de la jeunesse, de l’associer à ce type de débats et de discussions, et de lui accorder un rôle important dans ces débats?

VS :

Eh bien, je vous remercie de l’avoir fait, car c’est une initiative formidable. Donc, vous devez faire fond sur le succès que vous connaissez déjà. Parfois, quand on crée un conseil consultatif, on dit : d’accord, j’ai besoin de conseils sur mon travail. Le voici. Qu’en pensez-vous? Et on nous donne des commentaires à ce sujet. Je pense que c’est un peu là qu’il faut commencer pour obtenir l’avis des enfants sur les questions de protection de la vie privée. Je pense qu’il est beaucoup plus efficace de nouer des relations avec des jeunes qui vous font part de leurs propres préoccupations, car vous pouvez alors amplifier leur voix et exprimer leurs inquiétudes. Vous êtes également dans une position unique qui vous permet d’inviter ces jeunes à s’exprimer sur les politiques. Je pense que c’est une partie importante du processus. Il est important de savoir ce que l’on ressent dans cet environnement tout en assumant la responsabilité de l’améliorer.

PK :

Je voudrais maintenant parler de notre rôle en tant que commission, et de mon rôle à moi, en tant que commissaire en Ontario. Nous avons fait des enfants et des jeunes dans un monde numérique l’une de nos priorités stratégiques. Jane, vous faites partie de notre Conseil consultatif stratégique. Comme vous le savez, nous avons adopté et coparrainé des résolutions internationales et fédérales-provinciales-territoriales visant à promouvoir les droits des enfants et leur intérêt supérieur dans le monde en ligne. Nous avons récemment lancé des plans de leçons pour accompagner notre livret d’activités sur la protection de la vie privée, que nous encourageons les écoles, les enseignantes et enseignants et les parents à utiliser pour sensibiliser les enfants aux questions de protection de la vie privée de manière divertissante.

L’une de nos initiatives les plus récentes a été l’élaboration d’un projet de charte de la protection de la vie privée numérique pour les écoles ontariennes, et j’espère recueillir des commentaires sur les principes que nous avons établis dans cette charte. Ce que nous espérons, c’est que les écoles et les conseils scolaires souscriront à cette charte, qui est en fait une reformulation de bon nombre des obligations que prévoit déjà la loi. Mais c’est aussi une façon de s’engager publiquement à l’égard des élèves, des parents, des collectivités, à respecter ces principes. À votre avis, quels seraient les avantages d’adhérer à une telle charte pour les écoles et les conseils scolaires de l’Ontario?

JB :

Je crois qu’avant tout, vous montrez ainsi au public que votre organisme est respectueux des droits, et qu’il privilégie les gens qu’il faut privilégier dans le système d’éducation, c’est-à-dire les jeunes. Je pense qu’idéalement, tous les enseignantes et enseignants souhaiteraient être d’avant-garde sur cette question. Et je suppose qu’après avoir pris cet engagement, il faut prendre des mesures concrètes. C’est très important. Ça ne veut pas dire que le résultat sera toujours bon, probablement pas. Mais cela vous positionne en tant qu’organisme qui déclare qu’il souscrit tellement à ce projet qu’il est disposé à l’approuver publiquement, tout en sachant que cela donnera lieu à des débats sur la manière d’y parvenir et de reconnaître que nous allons commettre des erreurs et l’accepter, tout en invitant à ce dialogue nécessaire dont Val a parlé.

PK :

Voilà d’excellents conseils. Jane et Val, merci beaucoup d’avoir participé au balado et d’avoir partagé avec nous les résultats de vos recherches, que je suis pour ma part depuis des années. Vos travaux jettent un éclairage sur ce que nous pouvons tous faire pour favoriser des relations saines et le respect de l’égalité en ligne. Les personnes qui souhaitent en apprendre davantage sur l’eQuality Project peuvent consulter les ressources mentionnées dans les notes qui accompagnent cet épisode. Il y a aussi des liens vers d’autres épisodes de L’info, ça compte sur les enjeux auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes en matière de protection de la vie privée et d’accès à l’information. Le CIPVP propose des livrets d’activités et des plans de leçons gratuits pour enseigner la vie privée aux enfants, et ils sont accessibles sur notre site Web à www.cipvp.ca. Toutes ces ressources sont indispensables pour les parents, les enseignants et les enfants, et nous espérons vraiment qu’elles alimenteront des conversations intéressantes dans les écoles et à la maison.

Vous pouvez toujours communiquer avec notre bureau, par téléphone ou par courriel, pour obtenir de l’aide et des renseignements généraux concernant les lois sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée. Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Merci d’avoir été des nôtres, et à la prochaine.

Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous avez écouté L’info, ça compte. Si vous avez aimé ce balado, laissez-nous une note ou un commentaire. Si vous souhaitez que nous traitions d’un sujet qui concerne l’accès à l’information ou la protection de la vie privée dans un épisode futur, communiquez avec nous. Envoyez-nous un gazouillis à @cipvp_ontario ou un courriel à [email protected]. Merci d’avoir été des nôtres, et à bientôt pour d’autres conversations sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information. S’il est question d’information, nous en parlerons.

Les professeures Jane Bailey et Valerie Steeves codirigent l’eQuality Project, qui a pour mission d’aider les jeunes à créer un environnement réseauté où ils peuvent participer en toute égalité, sans surveillance ni harcèlement fondé sur leur identité.

  • L’origine des recherches relatives à l’incidence sociétale et culturelle d’Internet sur les adolescents, et particulièrement les filles [3:06]
  • Les objectifs de l’eQuality Project, et ses racines dans l’eGirls Project [5:36]
  • L’incidence des médias sociaux sur les adolescents [8:32]
  • Définition de « violence facilitée par la technologie » [9:57]
  • L’incidence de la violence facilitée par la technologie sur les jeunes femmes et les filles [12:01]
  • Les jeunes qui se censurent dans les médias sociaux [13:29]
  • Le rôle de l’éducation pour aider les jeunes femmes et les filles à participer au monde numérique en toute égalité [14:41]
  • La reconnaissance et la promotion des droits des jeunes par le dialogue délibératif [18:18]
  • Comment dialoguer avec les jeunes sur la protection de la vie privée dans le monde numérique [22:49]
  • L’importance pour le personnel enseignant et les écoles de défendre le droit à la vie privée des jeunes [23:28]

Ressources

L’info, ça compte est un balado sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information animé par Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario. Avec des invités de tous les milieux, nous parlons des questions qui les intéressent le plus sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information.

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